Confinement et coronavirus : les kinés à l’arrêt ou presque . Entretien avec Cécile GAUTHIER (France3)

Confinement et coronavirus : les kinés à l’arrêt ou presque

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Depuis le 17 mars, tous les kinésithérapeutes ont fermé leur cabinet. Seules les urgences et les besoins vitaux sont pris en charge au domicile du patient. Une situation qui soulève de nombreuses inquiétudes.

Par Cécile Gauthier

Les consignes ont été claires dès le 16 mars 2020, des directives valables sur l’ensemble de la France émanant de l’ordre national des masseurs kinésithérapeutes, les cabinets doivent être fermés et seules les urgences devront être assurées.

Thierry Chatenet, président de l’ordre des masseurs kinésithérapeutes de la Haute-Vienne précise :

Aujourd’hui, nous limitons au maximum nos actes, seuls les soins d’urgence et les soins vitaux doivent être pratiqués et uniquement au domicile des patients. Il s’agit de la kiné respiratoire, les soins concernant des handicaps lourds ou des polytraumatismes. L’objectif étant de permettre le maintien à domicile de ces personnes et de leur éviter une hospitalisation.

A la campagne…

Thierry Chatenet, qui exerce en milieu rural (Chateauneuf-la-Forêt – Haute-Vienne), opère un suivi de ses patients par téléphone chaque semaine, voire plusieurs fois par semaine pour évaluer leur état de santé.

Il s’agit de vérifier qu’il n’y a pas une grosse perte d’autonomie qui conduirait à une hospitalisation. Si c’était le cas, je reprendrais les soins à domicile pour cette personne.

A Nexon (Haute-Vienne), Brunon Leleu fait beaucoup de soins à domicile en temps normal. Afin de les réduire au maximum, il a passé toute la semaine dernière à s’assurer que chacun de ses patients n’était pas en situation d’urgence.

J’ai pu réduire au maximum le nombre d’actes, actuellement je vois seulement deux personnes tous les deux jours… A la campagne nous avons une relation très spéciale avec nos patients. Certains sont très isolés.

La semaine dernière je l’ai passée sans facturer le moindre soin, je n’ai fait que rendre des services, rentrer du bois, sortir le chien par exemple… Et puis j’ai fais beaucoup de prévention pour expliquer l’importance du respect du confinement. Je voulais être certains que mes patients isolés aient été pris en charge par leur famille, certains sont partis au domicile de leurs enfants, pour d’autres ce sont les enfants qui sont venus se confiner chez eux.

A la campagne notre rôle ne se limite pas aux actes de kiné, hier par exemple j’ai été appelé par les enfants d’une dame de 94 ans, elle avait fait une chute, j’y suis allé et j’ai pu constater qu’elle n’avait qu’un hématome ce qui a éviter le déplacement d’une ambulance.

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Kinés de ville…

Cédric Fabri exerce à Limoges, son cabinet est, comme les autres, fermé. Seul un de ses deux associés poursuit son activité d’urgence à domicile. Ce spécialiste des traumatismes du sportif a imaginé un moyen de maintenir des actes de rééducation à distance.

Pour des pathologies simples comme une rupture des ligaments opérée,  j’ai fait des fiches d’exercices que les patients peuvent réaliser seuls à la maison. Et je leur propose des appels visio réguliers pour évaluer leurs progrès et leur montrer d’autres exercices. Cependant, bien évidement, la rééducation ne se fera pas aussi bien que si elle était réalisée au cabinet ou nous avons tout l’équipement nécessaire. Ce que je crains c’est que les reprises d’activité professionnelle pour ces personnes soient largement retardées.

En ce qui concerne les pathologies lourdes, handicap, polyhandicap, suivies en cabinet pour Cédric Fabri tout dépendra de la durée du confinement :

Avec mes patients en fauteuil roulant j’ai l’habitude de faire des pauses d’un mois, quand ils partent en vacances par exemple, ce qui est plus inquiétant pour eux c’est qu’ils ne peuvent pas recevoir certains soins hospitaliers comme les injections de toxine botulique pour éviter la contraction des muscles par exemple, la reprise des soins kiné sera donc plus compliquée.

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Interventions dans les EHPAD

Elles aussi sont limitées au strict minimum, aux soins respiratoires essentiellement et cela inquiète beaucoup les praticiens. »Pour des personnes qui ont 90, 95 voire 100 ans, l’arrêt des stimulations peut être désastreuse, cela peut impliquer pour ces personnes de ne plus remarchent » s’inquiète Cédric Fabri.

Même constat et mêmes craintes pour Bruno Leleu à Nexon :

L’arrêt des soins en EHPAD est catastrophique pour certaines personnes, elles risquent de devenir grabataires. Certains n’ont que nous pour les faire marcher, bouger dans ces structures. Par la suite, on risque plus de chutes également… Le problème c’est qu’on nous a demandé de stopper ces actes, car nous ne sommes pas équipés pour les réaliser. J’ai pris l’initiative moi même de ne plus intervenir dans un établissement parce que j’avais trop peur d’y introduire le virus. Depuis la semaine dernière, on nous a fourni seulement deux masques FFP2, pas de blouses, j’ai ressorti mes vieilles blouses d’étudiants… J’ai dû limiter les interventions au minimum vital.

Un manque d’équipement constaté également par Thierry Chatenet,

Lorsque nous réalisons des actes de kinés respiratoire, même à domicile, nous sommes extrêmement exposés, nous aurions besoin de surblouses jetables, de charlottes, lunettes, surchausses comme c’était le cas pendant la crise du H1N1.

Une problématique qui met dans une colère noire Régis Compère, kinésithérapeute à Sainte-Feyre dans la Creuse.

Le gouvernement nous prive d’activité alors qu’il suffirait de nous équiper pour que nous puissions la maintenir, y compris en cabinet où nous disposons de matériel spécifique. Il y a des aberrations qui me font bondir. Les kinés sont les parents pauvres du monde médical. D’un coté on nous dit de venir renforcer les équipes hospitalières mais d’un autre on ne nous considère pas comme les autres soignants puisqu’on ne nous équipe pas des mêmes protections.

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Pertes sèches…

Outre l’inquiétude pour leurs patients, les kinésithérapeutes s’inquiètent également des pertes fiancières engendrées par l’arrêt imposé de leur activité. Comme l’explique Cédric Fabri :

Je perd entre 8 000 et 9 000 euros par mois, et mes charges mensuelles s’élèvent à environ 5 000 euros. Même si les prélèvements de lURSSAF ou de la caisse de retraite ont été suspendus, ce n’est pas suffisant. Je pense a mes jeunes confrères installés depuis peu. En comparaison, même s’il a été amputé de moitié, leur mois de mars 2020 aura parfois été plus bénéfique que celui de l’an dernier, ce qui les empêchera de toucher l’aide de 1500 euros promise par l’état.

Une situation qui pourrait pousser certains praticiens à contourner la directive de limiter les actes aux seules urgences et soins vitaux comme l’explique Thierry Chatenet, président du conseil de l’ordre des kinésithérapeutes de la Haute-Vienne :

J’espère que tous les kinés respectent les mesures de protections… Malheureusement on se rend compte que certains cabinets recommencent à avoir une activité à domicile plus fournie depuis quelques jours… J’ose espérer que c’est par ce qu’il y a plus de besoins réels et pas pour des raisons financières… Malheureusement nous n’avons aucun moyen de contrôler les contrevenants. J’ai fait un courrier de recadrage pour redonner les directives. C’est maintenant que nous allons rentrer dans le dur, ce n’est vraiment pas le moment de prendre des risques et d’en faire prendre aux patients…

En attendant…

En attendant la reprise d’une activité normale, certains praticiens ont choisi de s’engager dans la réserve des hôpitaux ou de faire partie des volontaires de première ligne. C’est le cas de Stéphane Leylavergne, kinésithéraeute à Marsac en Creuse : « Avec mon confrère qui exerce lui aussi à Marsac, nous nous sommes inscrits sur le site internet de l’ordre des kinés pour intervenir auprès des patients atteint de covid-19 qui nécessiteraient des soins. Si nous devons intervenir dans ce cadre on nous fournira des kits de protections. Je suis inscrit aussi dans la réserve sanitaire des hôpitaux. Je ressent le besoin d’agir dans cette crise parce que c’est notre métier que de se mettre au service des autres. En tant que praticien libéral, je pense a mes collègues des hôpitaux, mais aussi aux infirmière libérales, aux aides à domicile qui sont en contact direct avec cette crise et qui se battent au quotidien. Nous aussi nous sommes là pour soigner les gens, nous ne pouvons pas rester extérieur à ce phénomène. »

Et Stéphane Leylavergne de conclure par cette phrase  :

Je considère mon métier comme un véritable sacerdoce*.

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